Les corses, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ne sont pas des marins... Obligés de se retrancher derrière des remparts montagneux ou dans le labyrinthe touffu du maquis, afin d'échapper aux envahisseurs de toutes les époques, de plus en plus avides et sanguinaires, le Corse s'est fait berger, aussi bien pour mieux garder sa maison et sa famille que pour surveiller la mer.L'arme à la ceinture ou à l'épaule, il était roi chez lui.

Protégé des intempéries par son" Pilone"taillé dans la peau des bêtes qu'il gardait et élevait, il ne craignait que les forces occultes. Il savait que son destin était inséparable de la tragédie et que sa vie était liée à celle de la nature, hostile seulement à ceux qui, par malheur s'y aventuraient sans bien la connaître.

Lui seul connaissait chaque rocher, chaque plante, chaque arbre, lui savait, mieux que quiconque, déchiffrer le langage des nuages, parler à la mer et aux aigles. Le soleil sculptait sur son visage les marques de ses joies et de ses peines, sans jamais atténuer la lumière de ses yeux, qui pouvaient repérer le gibier silencieux au milieu des myrtes et des arbousiers.

Quelquefois encore, aujourd'hui, lorsque la pluie bienfaitrice du printemps illumine le vert des feuillages et fait éclater la chanson de Daphnée et Chloé à travers les bourgeons gonflés et ruisselants, on croit voir derrière un buisson, un vieux berger appuyé sur son bâton, la tête abritée sous son capuchon de poils de chèvres, jouant de la guimbarde ou fumant"l'erba tabacca", heureux de la solitude du maquis, plus riche de cette nature sauvage plus que nulle autre au monde, connaissant seul la légende d'Erbèle, fille de l'air et des cimes neigeuses, lisant dans les volutes bleues de la fumée de sa pipe, les caprices légers du vent.

Mais ce n'est qu'un rêve, un leurre, tout au plus, sommes nous abuser par un lambeau de brumes accroché à un boqueteau de lentisques où se cachent pour chanter, des grives effarouchées.C'était lui, le berger, doux et puissant à la fois, connaissant chacune de ses bêtes, sachant leur parler, les guérir d'une herbe magique, sentant fort le fromage et le Brocciu, comprenant à travers le regard de ses chiens, le sens de la vie. Mais ce berger-là, n'est pas tout à fait mort.

Il reste encore dans les yeux de ceux d'aujourd'hui, une parcelle de leur chaleur, une étincelle de leur histoire.Ils sont moins nombreux que naguère, les bergers des temps modernes, il y a moins de chèvres et de cabris bondissants, il y a davantage de brebis et il est beaucoup plus question de chiffres, de rapports entre l'offre et la demande, même de mode...

Les soucis pourtant n'ont pas diminués, les problèmes se sont multipliés. On ne demande plus au berger d'aller garder sereinement et philosophiquement son troupeau, on lui demande aujourd'hui, une comptabilité, des papiers à remplir, des vétérinaires à appeler, et il suit parfois son troupeau en roulant lentement au volant de sa voiture... Les temps ont changé, seules les difficultés sont restées.

Il ne faut pas croire pour autant que le berger est pauvre, il ne faut pas croire non plus,qu'il est riche. Il accomplit sa profession de berger, il est même quelquefois un espoir car il permet de redonner vie à une certaine Corse de l'intérieur,qui par ailleurs se désertifie.

Mais le berger de légende n'a pas totalement disparu, il existe encore dans le coeur de ces jeunes qui perpétuent sa race, sinon son image, hommes et femmes courageux s'appliquant à recueillir le lait parfumé des feuillages du maquis pour le transformer en produit qui sentent encore bon la Corse des bergers au "Pilone".

Car, mêmesi aujourd'hui les bergers sont minoritaires au sein de la grande famille de l'agriculture, ils demeurent les maîtres du maquis, ils sont encore les premiers à entendre le coucou chanter et les seuls à comprendre le langage des alouettes et des merles rieurs.Malgré le dur travail qui les occupe, l'esclavage d'une profession qui ne pardonne aucune faiblesse, la fatigue des matins et les soirs de traite, le berger garde encore son auréole et comme l'a si bien dit un poète de chez nous